Malaise dans la montagne

Mai 2013

Bonjour les amis, je manque totalement d’inspiration. Je me suis rendue compte que ça m’arrivait chaque année en revenant de la montagne. Il n’y a plus de doute, la montagne me vide la tête. Ça pose question quand même: y aurait-il un lien entre l’altitude et le manque d’inspiration? Le fait de prendre de la hauteur ferait-il descendre mon potentiel créatif? Si je vous dis qu’en plus, je souffre du « mal aigu des montagnes », « un syndrome de souffrance », d’après Wikipedia, « lié à une montée trop rapide en haute altitude, à l’absence d’acclimatation et à une sensibilité personnelle plus ou moins importante. Ses symptômes sont des céphalées, des nausées et des vomissements », à tel point que je ne me sentais bien qu’en schuss, de préférence à toute vitesse, moi qui skie très moyennement et donc très prudemment en prenant la pente de biais. Mes compagnons de télésiège peuvent en témoigner, la montagne ne me vide pas uniquement la tête, le balancement de la nacelle combinée à l’altitude ont eu raison de mes nausées, tout cela fut expédié en moins de cinq minutes, sans bavures, et sans éclaboussures, pour mon plus grand soulagement. Et dire que cette année pourtant la neige était exceptionnelle (les bienfaits paradoxaux du changement climatique), le temps était plutôt beau, les pistes désertes, les Français, pour notre plus grand bonheur, ayant décidé de prendre leurs vacances de Pâques deux semaines plus tard. Alors, un trop plein d’oxygène peut-être? Il est vrai qu’en temps normal, je mets rarement le nez dehors, mon biotope préféré étant mon bureau ou le divan de mon salon, dans le bas de la ville de Bruxelles. Dans ces conditions, plusieurs heures de grand air quotidiennes à 2000 mètres d’altitude, ça peut faire des dégâts.

Rien de plus normal me dit un ami juif avec qui je m’interrogeais sur cette étrange coïncidence entre un retour de la nature et la panne d’écriture: « le Juif et la nature, cela fait deux » une phrase qu’il cite de mémoire (il est très fortiche cet ami) signée Paul Celan, le grand poète juif, parti rencontrer le grand philosophe-juif- Adorno alors qu’ils séjournaient tous deux à la montagne justement! Mais la rencontre entre le poète (un petit Juif, dénommé Monsieur Klein) et le philosophe (Monsieur Gross) n’aura lieu que dans le texte de Celan, intitulé « Entretien dans la montagne »[1] et de me dicter le passage par téléphone « Le silence donc était total virgule là-haut le silence dans la montagne point. Mais le silence ne dura guère virgule car lorsque survient un Juif virgule qui en rencontre un autre virgule c’en est tôt fait du silence, même dans la montagne point. (ça, on en connaît un brin, n’est-ce pas les amis?!) Car (et nous y voilà) le Juif et la nature, cela fait deux, virgule, de tout temps et même aujourd’hui, virgule, même ici point final ». Je ne peux que confirmer.

Enfin, le mal d’altitude ne m’a pas empêchée de suivre de loin ou dois-je dire de haut l’actualité. Une semaine pleine de rebondissements à vrai dire. Un ancien Président de la République mis en examen pour abus de faiblesse, mais il s’en sortira car les charges sont…faibles. Dommage. Un ministre du budget de la même République, après avoir juré ses grands Dieux qu’il n’avait pas, n’avait jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant ni avant, confesse avoir menti et est forcé de démissionner. Un Grand Rabbin de la République qui se voit accusé de plagiat, nie, puis reconnaît mais rejette la faute sur ses « étudiants » (on comprend qu’il utilise des nègres pour ses livres), jure son grand D. qu’il ne l’a fait qu’une seule fois, puis au moment où d’autres plagiats (et d’autres nègres) sont dévoilés on apprend qu’il a triché sur son CV. Non il n’est pas agrégé de philosophie. Bon ce n’est pas si grave que ça, personne n’attend d’un rabbin-même du Grand Rabbin de France- qu’il soit agrégé de philosophie, mais évidemment ça en jette, surtout quand on s’est mis en tête d’intervenir dans le débat public en usant de son ascendant moral comme par exemple quand le Grand Rabbin signe un livre contre « le mariage pour tous » et que nous apprenons qu’il a pour cela « emprunté » de larges passages à l’œuvre d’un certain Joseph-Marie Verlinde, un prêtre catholique comme son nom l’indique, ce qui lui a d’ailleurs valu, au Grand Rabbin, les félicitations publiques du pape Benoit XVI, qui sait décidément reconnaître les siens. Cerise sur le gâteau, dans un premier temps notre Grand Rabbin refuse de démissionner car ce serait… « un acte d’orgueil ». Ni plus ni moins. Le nouveau Pape, je suis sûre doit apprécier cet argument pour le moins … jésuitique.

Mais redescendons dans les brumes du Nord, là où un canal s’est perdu, mais où il est permis « pour tous » de se marier et même d’adopter des enfants et où le ministre des finances démissionne sans même avoir de compte en Suisse, où depuis fort longtemps déjà, les élus doivent déposer une déclaration de patrimoine à la Cour des Comptes. Quant au Grand Rabbin du Royaume, s’il a obtenu un doctorat en langues orientales à la Sorbonne, il n’a jamais prétendu être agrégé de quoique ce soit et d’ailleurs en Belgique ce genre de concours n’existe pas et c’est tant mieux car figurez-vous que je viens de lire que si le peuple français de tous les peuples est le plus malheureux comme l’indiquent les sondages, c’est à cause de leur système d’enseignement extrêmement compétitif.

Ici dans le genre mégalo nous sommes largement servis par le tout nouveau bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever. Certes il n’a pas triché sur son CV, il a bien son diplôme d’historien, mais attention pas de doctorat einh les amis, même s’il se targue de parler couramment le Latin. Il aurait tant voulu être un Jules César a-t-il déclaré récemment mais il est plutôt un Cicéron (« Ik ben meer Cicero »[2]). Tant de modestie l’honore. Margaret Tatcher, était une Jules César, elle, poursuit-il, admiratif. Plutôt une Caligula s’il faut en croire François Mitterrand qui lui attribuait certes la bouche de Marilyn mais les yeux de l’empereur sanguinaire. Maggie… elle a marqué mes années militantes. Son règne ne semblait pas avoir de fin. Elle est morte au Ritz. Dans les villes minières dévastées de Grande-Bretagne, les mineurs et les syndicalistes au chômage chantent en cœur: « Ding-dong! The witch is dead ».

Ici en revenant de la montagne, j’ai constaté que tout le monde n’attendait plus qu’une seule chose, le printemps. Eh bien il a fallu attendre encore une semaine, mais le voici. Les terrasses sur ma place ont littéralement explosé et je me suis empressée d’aller partager les premiers rayons de soleil avec une bonne dose de gaz carbonique pour que l’inspiration revienne…

[1] In:Strette, trad. J.E. Jackson et A. du Bouchet, Mercure de France, 1971

[2] A l’émission « Peeters en Partners » de la VRT (radio 1) du 13 avril

Auteur : Anne Gielczyk

Ecrit depuis 20 ans des chroniques intitulées "Humeurs judéo-flamandes" dans la revue de l'UPJB, Points Critiques

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